Les outils numériques de la solidarité : comment sortir plus forts de la crise covid ?

Contribution des Plateformes en communs

La crise du Covid 19 souligne l’importance des plateformes numériques coopératives, qui ont agi comme des nouvelles infrastructures de résilience des territoires, dans une logique de solidarité s’articulant les missions d’intérêt général des collectivités.

Plateformes en communs se donne pour objectif d’accompagner cette structuration avec une série de propositions travaillées avec les plateformes coopératives.

Texte complet ci-dessous

Quels héritages numériques de la période de confinement ?

La période de confinement mise en place en France pour endiguer la propagation de la pandémie de covid-19 marque une intensification des pratiques numériques pour tous. Télétravail et réunions en ligne, continuité pédagogique, livraison de produits de première nécessité, de médicaments, fils de discussion, jeux, les outils numériques ont permis à de nombreux français de maintenir une normalité relative du quotidien et un minimum de relations sociales.

Répondant à l’injonction présidentielle (“ je compte sur vous pour inventer de nouvelles solidarités”), les Français ont largement utilisé les outils numériques comme leviers utiles pour organiser la solidarité et permettre la survie des acteurs les plus touchés : trouver un logement proche des hôpitaux pour les soignants, assurer la livraison de denrées alimentaires après la fermeture des marchés, permettre aux restaurants de livrer leurs repas, organiser l’entraide au sein d’un quartier pour venir en aide aux plus fragiles.

Bien entendu, les premiers réflexes ont été de recourir aux outils qui peuplaient déjà notre quotidien, nos rues et notre imaginaire. C’est ainsi qu’Amazon sort grand gagnant de la crise, assurant la livraison des produits achetés en ligne. Airbnb devient un point de rencontre choisi par l’AP-HP pour faire le lien entre les logements vacants et les soignants souhaitant déménager temporairement. C’est aussi par Whatsapp et Facebook que l’on organise la solidarité et que l’on se donne des nouvelles. Quant à Uber Eats et Deliveroo, ils continuent de permettre la livraison de repas et de courses à domicile.

Malaise : ces acteurs à but lucratif et à tendance monopolistique, qui étaient déjà centraux dans notre système marchand et qui s’imposent en ce moment comme des infrastructures critiques de solidarité, génèrent des externalités négatives pourtant bien connues. Dévitalisation des centres-villes et délaissement des commerces de proximité sous l’effet des plateformes de livraison à domicile, gentrification excluante dans les villes victimes d’une “airbnbsation” massive, émergence d’une nouvelle classe de travailleurs autonomes précaires, sans parler des impacts délétères qui nous semblent lointains mais qui sont activement à l’œuvre (accaparement systématique de la valeur des échanges locaux, appropriation et monétisation des données personnelles, opacité des algorithmes qui hiérarchisent les utilisateurs sans même les informer ni les associer aux critères de sélection).

La crise du Covid ne masque pas les dérives de ces plateformes, même en temps “d’effort de guerre” : livreurs aux statuts précaires contraints de travailler au péril de leur santé pour s’assurer une continuité de revenus, employés d’Amazon forcés d’exercer par la direction dans un mépris général des consignes de protection sanitaire, méthodes cavalières de licenciement – massif – chez Bird (sur Zoom via une voix automatisée).

Pourtant, ce moment étrange peut également permettre le renforcement de dynamiques numériques éthiques qui avaient encore du mal à convaincre de l’utilité de leur différence.

Alimentation

Depuis la fermeture des marchés, nombre de producteurs alimentaires ne trouvent plus de débouchés pour leur production. Open Food France, plateforme de réservation et de gestion de commandes développée sous licence libre, permet l’émergence rapide d’un point de distribution local de nourriture en circuit-court. Alors que les acteurs classiques sont saturés, tout le monde (producteur ou réseau de voisins) est désormais capable de monter une solution sur mesure d’approvisionnement en circuit-court sur son territoire.

Logistique urbaine

Coopcyle met à disposition une plateforme de logistique urbaine à vélo qui permet la commande et la livraison de biens vendus localement. Cette plateforme est également sous licence libre, et réservée aux coopératives de livreurs ainsi qu’aux initiatives à but non lucratif qui se reposent sur des bénévoles. Facilement ajustable aux besoins de communautés affectées par le Covid, Coopcycle permet à des petits circuits locaux de distribution de s’organiser, mais aussi aux commerçants de maintenir une partie de leur activité en période de fermeture forcée et dans des conditions de travail dignes pour les livreurs.

Entraide entre entreprises

France Barter permet aux entreprises d’échanger des biens et services sans recourir à leur trésorerie (particulièrement affectée par la crise) par un système de débit-crédit qui encourage la sollicitation des entreprises du réseau. Fans le contexte actuel, France Barter a décidé de rendre ses frais d’adhésion gratuits et la Ville de Paris a encouragé de nombreuses entreprises de son territoire à recourir à la plateforme.

Entraide entre citoyens

Pwiic permet de proposer des échanges de services entre habitants d’un même quartier ou d’une même ville et favorise ainsi l’expression de solidarités.

Logement pour les soignants

EtikBnB a émergé en quelques semaines grâce à l’alliance de plusieurs coopératives du tourisme et développeurs, pour proposer des solutions d’hébergement temporaire aux soignants devant se rapprocher de l’hôpital sur lequel ils sont mobilisés.

Production

L’ensemble des Makers de France ont, eux, confectionné des centaines de milliers de matériels de protection alors que l’industrie française peine à en produire suffisamment. Ils ont aussi inventé des respirateurs à bas prix, fourni des blouses.

De l’importance de soutenir les solutions numériques solidaires comme nouvelle infrastructure de résilience des territoires

Aujourd’hui, la crise du Covid 19 invite à construire une société plus résiliente, plus décentralisée et localisée tout en favorisant de nouveaux progrès et le bien vivre dans les territoires. Ces solutions ouvertes, réplicables localement et gérées par et pour leurs usagers, sont portées par des acteurs issus des communs qui s’appuient sur les ressources organisationnelles de l’économie sociale et solidaire https://covid19-open.frama.io/memo/. Elles sont compatibles avec la protection de la propriété et de l’usage des données de leurs utilisateurs et leurs modèles de gouvernance permettent l’implication de tous les acteurs qu’ils impactent.

Ensemble, elles représentent une infrastructure numérique de coopération accessible à tous et dans tous les territoires, pensées dans une logique de solidarité et s’articulant étroitement avec les missions d’intérêt général des collectivités. Elles sont une réponse de long terme aux exigences de résilience collective que pose la pandémie actuelle et tissent une nouvelle vision du rapport entre la ville et le numérique. Ces nouveaux communs incarnent une nouvelle vision du territoire intelligent portant des services aux citoyens en permettant le développement de nouveaux liens sociaux, de nouveaux cadres d’échanges, de nouvelles activités et de nouvelles innovations pour le vivre ensemble.

Au sein de Plateformes en Communs, nous accompagnons cette structuration en :

  • contribuant à la visibilité du mouvement des plateformes coopératives en France, en lien avec les alliés en Europe et à l’international
  • favorisant des alliances autour de projets entre plateformes et avec d’autres partenaires, des communs, du libre et de l’open source, de l’économie sociale
  • facilitant la compréhension du modèle par les principaux acteurs du financement, les collectivités territoriales partenaires, les pouvoirs publics et les autres partenaires des plateformes coopératives, notamment du côté de l’économie sociale et solidaire
  • contribuant au renforcement des plateformes par des analyses de modèles dégageant les freins et les leviers de l’action collective numérique
  • accélérant le déploiement des plateformes coopératives en facilitant leur développement et le travail en interplateformes

Si la crise sanitaire doit être une opportunité de questionner nos modes de fonctionnement actuels, et alors que se pose la question de relocaliser des activités stratégiques pour en être en pleine maîtrise, le temps est venu de renforcer ces acteurs mal compris, mal financés, et reposant trop souvent sur la bonne volonté et le temps gratuit de leurs porteurs. Ce changement d’échelle demande de nouvelles actions :

  • soutenir économiquement ces projets innovants en tenant compte de leurs spécificités (lucrativité limitée, ouverture des ressources) : fonds d’amorçage dédiés, incubateurs, parcours d’accompagnement
  • encourager les expérimentations territoriales étroitement articulées avec les acteurs locaux (collectivités, entreprises, associations…)
  • (re)penser la puissance publique en tant qu’acteur-partenaire : prises de parts dans des structures (ex SCIC), soutien au développement de communs et logiciels libres (mécénat de compétences, contributions financières)
  • changer les règles du jeu : droit plus protecteur des travailleurs et usagers des plateformes, clauses sociales plus ambitieuses dans la commande publique, fiscalité avantageuse pour les projets numériques redistribuant la valeur
  • mener des politiques de la donnée favorisant les tiers de confiance (ex coopératives de données) et permettant des mutualisations au service de l’intérêt général et de l’innovation sociale.

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